Hommage à Carl Czerny *, le pianiste qui osa défier Mozart
par Dominique Debart
L'une des choristes de Canisy, qui répète sous votre direction, soutient que vous emmenez le groupe très loin, jusque "dans l'oeil du cyclone". Elle fait ainsi l'éloge de votre enthousiasme et de votre dynamisme, mais faut-il aussi comprendre que cette version Czerny du Requiem de Mozart, qui le dépouille de son écrin orchestral, lui conserve néanmoins toute sa force ?
Vous le savez, l'enthousiasme que l'on me prête n'est que le reflet de votre implication, à tous, dans ce chœur décidément inaltérable et tellement attachant. Avec, il est vrai, une passion pour la Musique, que j'aime par-dessus tout.
Mais vous avez aussi soulevé une interrogation autour de Mozart, de ce Requiem, et de ce personnage, Carl Czerny, qui a "osé" défier Mozart, à travers cette transcription.
Au fait, s'agit-il d'une transcription, d'une réduction, d'une instrumentation ? On a souvent tendance à mélanger tout cela.
Je crois qu'il s'agit, ici, d'une réduction, celle de la partie orchestrale et de ses couleurs initiales. et il ne faut pas le regretter.
Certes, le terme de "réduction" peut apparaître comme peu flatteur pour une telle œuvre...
Nous devons, au contraire, nous en tenir au sens premier de ce mot, et imaginer à quel point il est périlleux et terriblement audacieux de s'emparer d'une partie orchestrale aussi délicate et subtile, et de la remplacer par le piano, ce piano qui, il faut bien le reconnaître, est souvent, dans son utilisation "quotidienne", mis à contribution pour des tâches plus ou moins nobles, allant du simple soutien aux chanteurs répétant un opéra, jusqu'à la place royale du soliste concertiste ou chambriste. Bref, l'instrument à tout faire... Y compris permettre de faire vivre la Musique comme on pouvait la pratiquer notamment, au XIX° siècle, en se réunissant autour de l'indispensable piano, et déchiffrer aussi bien qu'on le peut, les oeuvres du répertoire, que l'on ne pouvait entendre que très rarement au concert.
Ainsi, Czerny, lui-même compositeur et, par ailleurs, l'un des plus grands maitres du piano, a-t-il, sans doute, pour des raisons de circonstance, cédé à la tentation de "transposer" la palette orchestrale de Mozart, et la "réduire" pour le seul clavier.
Quatre mains, mais pas deux pianos - Le grand intérêt de cette version est d'avoir confié la totalité des parties instrumentales, non pas à deux pianos, mais à quatre mains sur le même instrument. C'est un exercice assez rare, les transcripteurs ayant souvent privilégié l'assemblage des 2 pianos, sans doute pour mieux appréhender les dynamiques et les couleurs issues de l'orchestre initial.
Précisément, Czerny sait combien cette œuvre contient en elle une substance musicale universelle et parfaite. Son but est très humble : donner à entendre toute la Musique de Mozart sur le seul clavier d'un piano. Et c'est là que sa connaissance éblouissante de cet instrument va lui permettre d'équilibrer le spectre sonore de ses 87 notes, dans toutes les tessitures, pour le faire sonner de façon homogène, riche et généreuse.
Une question m'a souvent interpellé : comment se fait-il que ce sont les oeuvres les plus brillamment orchestrées qui supportent le mieux la transcription - ou instrumentation - ou réduction - ou orchestration ? C'est tout simplement parce que ce sont des œuvres de pure inspiration dans leur langage, leur écriture, et que l'alchimie des couleurs sonores et des timbres entremêlés à l'intérieur de la palette orchestrale n'est qu'au service de la Vraie Musique qu'elles contiennent, et ne la remplace nullement pour masquer quelque facilité ou faiblesse d'écriture.
Voilà pourquoi nous participons, avec ce Requiem, à une Soirée-Hommage.
Hommage au piano, autour duquel nous sommes réunis dans l'esprit intimiste d'une œuvre méditative, universelle; Hommage à Carl Czerny, qui a su si bien comprendre cette Musique pour la faire sonner différemment sur un instrument qu'il maîtrise admirablement; Hommage à l'une des pages les plus importantes de la littérature musicale occidentale, dont l'auteur, W.A.Mozart restera, à tout jamais, un mystère pour l'Humanité.
Les pianistes Philippe Scieux et Maréva Bécu, partenaires complices de cette aventure